Bonjour, je m'appelle Bastien.
Agé de 33 ans, je viens aujourd'hui me raconter à vous. Mon histoire est la preuve que le harcèlement scolaire ne s'arrête pas au portail de l'école mais peut avoir des répercussions pour le reste d’une vie.
Voici comment, 25 ans après avoir été harcelé, je suis aujourd'hui ramené à mes souvenirs de récréation d’école primaire :
Tout commence dans les années 90. Je suis un jeune garçon vivant à la campagne, dans la forêt d'un petit village du centre de la France. Je suis issu d’une génération sans internet, où mes passe-temps étaient le vélo, les cabanes dans les bois, la découverte de la nature et des animaux… Tout me destinait à être un petit garçon heureux et épanoui : des parents aimants, un environnement agréable, une santé sans alerte, en bref la vie que l’on rêve tous pour son enfant.
Voici mon arrivée en CP, je suis un petit garçon épanoui, apprécié de ses camarades et institutrices. Aucun doute que le passage en cours préparatoire ne sera qu’une petite marche à franchir. Du moins, c’est ce que tout le monde pensait.. Personne ne pouvait prévoir le virage que ma vie allait prendre.
C’est alors le début de mon enfer. Je ne saurais plus dire comment tout a commencé, mais je n’oublierais jamais son prénom : Jeremy (prénom modifié pour l’histoire). Aujourd’hui encore je cherche à savoir pour quelles raisons Jeremy a commencé à se moquer de moi, à m’humilier et à m’exclure face aux autres élèves. Une chose est certaine, Jeremy était bien entouré et était écouté par les autres. Jeremy a commencé à m’isoler du reste des élèves.
Trouvant ça surement très amusant, son ami (que l’on appellera) Kévin a adopté le concept et a redoublé d’imagination pour que je sois toujours plus isolé et toujours plus insulté. Bien que ces deux élèves soient les plus virulents avec moi, bien évidemment l’effet de groupe pris vite possession de la cour de récréation et une grande majorité commença à adopter les surnoms que l’on me donne et la façon d’être avec moi.
Petit à petit, d’un enfant heureux et épanoui, je suis passé à un enfant triste, se renfermant sur lui-même, inventant des excuses pour ne pas aller à l’école.
Mais surtout, les séquelles de ce que je subis à l’école commencèrent à dépasser le mental et à agir sur mon corps. Sans que je ne sache comprendre pourquoi, je commença à ne plus arriver à gérer la façon dont mon corps fonctionne. Très vite, mes selles ne sont alors plus contrôlées. Je ne gère plus mon propre corps et ne peux m’empêcher de faire mes besoins sur moi, dans mes vêtements.
Rongé par la honte et réagissant avec le mental d’un enfant, je n’osa pas aller voir les institutrices pour en parler. Je commença donc à passer des journées entières à l’école en restant dans mes excréments. Bien sûr, cela ne pouvait pas passer inaperçu. Ce qui relança encore plus intensément les moqueries de ceux que l’on appelle « mes camarades ». (Je n’ai d’ailleurs jamais compris comment pouvait-on les appeler mes camarades avec l’enfer qu’ils faisaient de ma vie.)
Ayant une imagination débordante, Jérémy et Kévin commencèrent alors à me trouver de nouveaux surnoms : « PUE LA MERDE » sera le plus utilisé et remplacera mon prénom pour le reste de ma scolarité primaire.
Inutile de vous dire que le harcèlement n’était pas un sujet d’état dans les années 90 et que les institutrices préféraient fermer les yeux : « C’est comme ça qu’on se forge un caractère pour devenir grand » selon elles.
Mes parents quant à eux ne sont pas passés à côté de mon déclin moral et ont bien constatées les affaires souillées quasi quotidiennement en rentrant de l’école. Mais : « comment interpréter ça ? S’il y avait un problème à l’école on m’aurait prévenu ! ».
Evidemment ma mère me demandait régulièrement ce qu’il se passait ? Mais par peur de représailles de mes harceleurs, jamais je n’ai avoué ce qu’il se passait à l’école puisque « sinon on te tape » disaient-ils.
CP, CE1, CE2, CM1, CM2… 5 années d’enfer à me (dé)construire passèrent.
Je me revois pleurer, me renfermer sur moi-même, commencer à devenir violent avec moi-même et avec les autres. Mais jamais violent avec mes agresseurs, bien évidemment, la peur est bien trop présente pour m’en prendre à eux.
Je me revois ne plus réussir à parler en public, je me revois ne plus supporter être le centre de l’attention d’une classe pour réciter une poésie, pour demander de l’aide en cours ou répondre à une question devant les autres.
Je me revois écrire de nombreuses lettres de suicides que je cache sous mon lit.
Je me revois assembler des trombones en forme de corde de pendu, l’accrocher à ma tringle à rideaux, et passer ma tête dedans, prêt à me laisser tomber.
Vint l’arrivée au collège. Bien que mes harceleurs étaient toujours dans le même établissement que moi, le harcèlement s’était arrêté avec le changement de classe. Mais trop tard, le mal était fait. Les fondations étaient brisées. Bien que le passage au collège mit également un stop définitif à mes problèmes de propreté, me voici devenu solitaire, ne sachant pas m’intégrer, incapable de me faire des amis. Un enfant ne souhaitant pas être vu, ne pas être remarqué.
Les cours de musique devinrent ma plus grande phobie. Chanter devant les autres, jouer de la flûte devant une classe ayant les yeux dirigés sur moi est la pire chose que j’ai à supporter.
Je n’ai pas oublié : me voici en 6ème F, une heure de musique hebdomadaire le jeudi de 16h00 à 17h00. L’heure la plus appréhendée de ma semaine. Incapable de passer au dessus de mes émotions ; Incapable de contrôler ma respiration, d’empêcher mon coeur de s’emballer.
Mes bulletins en témoignent : 0/20 de moyenne en musique de la 6ème à la 3ème. Commentaire du professeur : « refuse de pratiquer le chant et la flûte. »
L’adolescence faisant, je découvris également mon homosexualité. Il ne s’agira là que de ma propre interprétation mais c’est aussi à ce moment là que je me persuade que mon homosexualité est due à mon harcèlement. En effet, les seules personnes m’ayant accepté tel que j’étais dès la primaire étaient des filles. Elles sont alors devenues mon exemple et j’ai grandi en suivant leur image, leur goût et leur façon de penser.
En dehors de l’école, rien ne change. Les pensées sombres font mon quotidien. Les activités sportives ne font pas parties de l’imaginable, je préfère être seul chez moi.
Je me vois également, en l’absence de mes parents, manger pour la première fois, un pot de pâte à tartiner entier à la petite cuillère. Puis rongé par la honte, aller voir mon voisin afin qu’il m’accompagne jusqu’à l’épicerie en voiture, à 10 minutes de chez moi afin de racheter un pot avec mes économies. L’épicerie n’ayant pas de pâte à tartiner, je me vois ensuite faire fondre du chocolat et du lait pour tenter de remplir le pot pour que mes parents n’y voient que du feu. Sans succès également.
Cet évènement sera en réalité ma première crise d’hyperphagie boulimique. Il me faudra 25 ans pour le comprendre.
En effet, c’est à partir de ce moment que je me mis à compenser les émotions par la nourriture. Plus grasse et plus sucrée soit cette nourriture, plus le shot de dopamine est important et plus les regrets sont importants.
Nous sommes désormais en 2024. Je vis seul. J’ai des difficultés à être au centre de l’attention, à rencontrer du monde ou même à sortir avec mes amis.
Je pèse désormais quasiment 200 kilos et viens de passer 25 ans sans prendre conscience que tout cela été lié au harcèlement que j’ai subi, car persuadé que les kilos s’accumulaient parce que je n’était pas quelqu’un d’assez courageux pour lutter contre.
Il y a quelques semaines je suis tombé sur une interview témoignage d’une femme avec une histoire similaire à la mienne, abordant le sujet de l’hyperphagie boulimique. Ce terme m’était encore inconnu et pourtant je me reconnaissais dans tout ce que cette personne décrivait : isolement, solitude, crises de boulimie, honte du regard des autres, addictions à la malbouffe, etc…
Cela fait 25 ans que j’ai été harcelé et je prends conscience aujourd’hui que ces harceleurs m’ont affligés des séquelles à vie.
Un psychiatre m’accompagne désormais dans ma reconstruction. Le chemin sera long et difficile mais ma nouvelle vie débute maintenant.
Des séquelles ne s’effaceront jamais. A commencer par mon physique : on ne répare pas à 100% un corps qui a atteint un tel poids.
Je conclus mon témoignage en vous demandant de tout faire pour protéger vos proches du harcèlement. Nous sommes désormais dans une époque ou le harcèlement peut être pris au sérieux par une partie de la population et il ne faut rien négliger de ce qui pourrait aider une personne harcelée. Alors prenez par la main vos amis, collègues, enfants, frères, soeurs et ne laissez personne être harcelé car les conséquences sont destructrices.
J’espère que mon témoignage pourra aider quelques personnes et ouvrir les yeux à d’autres.
Bastien